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Vol sans retour
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04052021
Vol sans retour
« Le suicide de l’âme, c’est de penser mal » V. Hugo
Tu perds pied un peu comme un oiseau volerait à contre vent. Une pluie de sable mouvant invisible s’abat, dans laquelle tu foules l'instable, cherches le dur et ne trouves que le mou. L'instable est silencieux, comme une maladie secrète, perfide, enfouie dans les chairs, au fin fond de ton cortex. La musique, les mots, la souffrance, tout se mélange en symphonie métal, guitares hurlantes et voix cristallines. Tu n’as plus de rêves, juste quelques cauchemars, que tu balais d’un revers de main, maladroitement. Tes mots sont des onomatopées disgracieuses, vocabulaire méphitique au cœur schizophrène.
Tu fais l'amour avec des rêves chimériques. Tu baises et chosifie tes conquêtes. Tu dis des paroles encombrées de malignités, sauvagement brutes. Et parfois, oui, parfois, tu es monsieur tout le monde... Tu perds de l’altitude. L’altimètre est fébrile. Pas de sueur. La technologie reste froide en toutes circonstances. Le tachymètre indique une vitesse fixe. Tu vois les compteurs, les chiffres, les aiguilles. Mais tu ne regardes pas. La fuite en avant opère. Tu pilotes le zing aveuglement. La descente se poursuit irrémédiablement, de manière presque lancinante. Du cockpit, tu n’aperçois pas les striures gracieuses d’un ciel d’été. Pas plus que l’aigle en contrebas, un peu plus loin, dont les orbes de grandes ampleurs, visent à se saisir de sa proie. Ton regard est ailleurs, toujours emporté, absent. La beauté ne t’émeut plus. Tes émotions, parlons-en, tu les barricades, cadenassées à double tour, depuis si longtemps. Le paysage se dessine davantage. Le modelé du relief laisse entrevoir des robines couleur de deuil. Des mouvements de vie sont perceptibles, ici ou là, certes fugaces. En bas, la vie s’enveloppe de douceur, de fierté, de tracas et d’espoir. Une petite trace d’un blanc immaculé, peut-être une mariée. Tes mains sont toujours rivées aux commandes. Le fuselage glisse dans la volupté de l’air, sans à-coups, sans décrochage. On dirait un ange qui passe.
Tes muscles se détendent à l'approche de l’objectif. Bien évidemment, il ne figure sur aucun plan de vol. Juste dans ta tête. Mais il est là, accroché comme un pou, à tes neurones. Pas de flash, pas un regret, pas d'hésitation. Le cap ne vacille pas. Dans le compartiment des voyageurs, la plupart des enfants se sont assoupis. Ils ne verront pas ! Le noir s'installera pour l'éternité en une fraction de seconde, à grande vitesse, plus près des étoiles. Tant de vies ordinaires accrochées à un fauteuil avec billet sans retour. Impact, la montagne s’est à peine effritée. Mon Dieu ! Deux mots qui viennent spontanément. Croyants, pas croyants, il n’y a aucun lien. Juste de la sidération. Il n’y a plus rien à faire pour ces vies arrachées, éparpillées, minuscules cellules sur l'adret rocheux, fracassées là, face soleil, lumières éthérées, pour un jour à jamais sombre. De longues vies aux petits bonheurs insignifiants parsemés de je t’aime, s’en sont allées vers un ailleurs inaccessible. Le silence s’est installé durablement dans ce lieu carte postale. La vie continue. Reste encore des mots, des photos, quelques bougies, des prières et puis, et puis surtout, ce silence, profond et inconsolable de l’absence.
Ce soir, lorsque tu m’ouvriras la porte, je t’offrirai mes bras, pour l’éternité.
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